21h00. J'envoie un SMS à mon captain d'AEL : "Ca arrive, un vol organe en plein milieu d'un WE de Pâques ?" Il me répond que c'est pas le plus probable, mais qui sait...
22h30. Je suis dans mon lit, au téléphone avec un ami, Dan, First Officer chez Baboo, et je lui raconte mes premiers vols et mon bonheur à être dans le ciel. Bip bip, un signal d'appel. "Dan, je dois te laisser, c'est mon captain !"
"Olivier, on part voler !" Je saute du lit, j'enfile mon uniforme, et je saute dans la voiture, direction Le Bourget. Je fais la prévol, le devis de masse et centrage, je remplis d'eau chaude la thermos, je mets quelques quotidiens à bord, je passe un ptit coup d'aspirateur dans l'avion, puis je regarde avec mon CDB le plan de vol, la météo, les NOTAMs, et on attend les médecins.
Décollage du Bourget à minuit et demi, on entre rapidement dans la couche. Direction Marseille pour une mission organes. On a très vite une directe sur le VOR d'Avignon. On sort de la couche, et bientôt se devinent au sol les villes illuminées. Nevers, Vichy, Saint-Etienne, Montélimar défilent sous nos ailes comme autant de phares dans la sombre immensité de la nuit.
On débute la descente, et on entre dans la couche. Et ça commence à secouer sévère. Mon captain tient le volant, au cas où l'auto-pilote capitulerait sous les coups de boutoirs des turbulences. On est autorisé à descendre, mais j'ai du mal à attraper la petite manivelle de l'altitude set, et mon commandant a aussi des difficultés à vérifier un truc sur la Jeppesen, tellement on est secoués.
C'est la 13 en service à Marseille, ça tombe bien, ça va nous faire gagner du temps, et on ne sera pas fâchés d'être posés. Marseille nous demande notre vitesse (230 kt), et nous demande de les maintenir le plus longtemps possible, pour nous faire passer devant un 737. On est un vol EVASAN, donc prioritaire.
Je pilote le Beech à la main sur l'ILS, et je finis à vue. Atterrissage sur la piste 13L qui est trempée. Rapide 180° et court backtrack pour dégager rapidement alors que le gros phare d'atterrissage du Boeing arrive en finale. Atterrissage vers 2h30. Une ambulance, escortée par les gendarmes, vient chercher les médecins, et nous on essaye de dormir un peu dans l'avion, allongé l'un sur la banquette, l'autre sur les dossiers de la banquettes posés par terre dans la soute.
Heure indéterminée (pas eu le courage de regarder ma montre). Je suis réveillé par la pluie qui tambourine sur le King Air. On se prend une sacrée saucée... Je finis par me rendormir.
7h. On est réveillés en sursaut pas un nouveau tambourinement, mais cette fois, c'est un gendarme qui tape à la porte. Les médecins sont là. Ha oui, mais ce n'est pas les nôtres, c'est ceux de l'autre avion. Bon, tant pis, maintenant qu'on est réveillés, on va se préparer. Je vais chercher la météo, et le temps qu'on l'étudie et que je fasse le devis de Weight & Balance, nos médecins arrivent avec leurs glacières.
Mise en route, et décollage sur la 31R (c'est bien Marseille, on atterrit face au sud-est et on décolle face au nord-ouest, pratique quand on vient de paris et quand on y retourne !) Sur la branche retour, je suis PM (Pilot Monitoring). Je m'occupe donc de la radio.
Mon captain me dit : "Ta mission, si tu l'acceptes, est de négocier une directe sur OMAKO (OMAKO, c'est pas loin de la Ferté Gaucher, donc depuis Marseille, c'est une sacrée directe !) Je tente donc le coup, avec le mot magique :
- Marseille, IBJ 204 Bravo bonjour, EVASAN en montée vers le niveau XX, directe YY, on serait preneur d'une directe OMAKO si possible.
- IBJ 204 Bravo, directe Omako
- Directe Omako, IBJ 204 Bravo, merci Monsieur.
Le truc délire, c'est qu'à la place de "Monsieur", j'aurais pu dire "Patrick". Car je ne l'ai su qu'il y a 10 minutes, mais le contrôleur de Marseille était un autre pote ! Un peu plus tard, il accède à ma demande de monter vers le niveau 280.
Un niveau qui nous permet de sortir enfin de la couche et de surfer sur une mer de coton, tout en profitant du ciel bleu et de la douce chaleur du soleil. Et là encore, je réalise le bonheur de pouvoir profiter d'une heure de soleil alors qu'à Marseille et à Paris, il fait gris et il pleut.
Quelques minutes plus tard, j'entends un Baboo sur la fréquence. Comme je suis un peu endormi, je suis incapable de dire si la voix me dit quelque chose ou pas (l'oreille et le cerveau étant ultra-efficace pour filtrer les messages qui ne commencent pas par le bon call sign, cocktail-party effect oblige). Je tends donc l'oreille, et oui, pas de doute, je reconnais très bien cette voix. C'est celle de Dan, avec qui je parlais au téléphone il y a une dizaine d'heures, et qui dit "Bon matin" au contrôleur (qui n'est plus mon pote, on a changé de fréquence entretemps).
Cinq minutes passent, puis :
- IBJ 204B, avec Paris sur XXX,XXX
- XXX,XXX IBJ 204B, merci Monsieur, bonne journée !
- (Voix de Dan) Heu... Olivier ?
- (Moi) Salut Dan !
Et voilà, encore un ! Ca fait deux amis sur les ondes dès mon troisième jour de boulot !
Bon, c'est pas tout ça, on a quand même 22 000 pieds à perdre avant OMAKO, nous ! A la demande de mon captain, j'ai calculé depuis un moment notre top of descent. On va prendre un peu de marge, ce sera donc 80 NM avant. On commence donc la descente, et on quitte le soleil pour plonger dans la masse cotonneuse.
Le contrôleur nous signale un A330, à deux heures, à quelques nautiques. Je lance un regard interrogateur à mon captain. Bah oui, c'est gentil de nous le signaler, mais bon... "Dis lui qu'on est en India Mike". Je transmets au contrôleur... On est guidés radar pour intercepter l'ILS 27 du Bourget. Les nuages se déchirent pour nous laisser entrevoir le doublet sud de Roissy, tout proche à notre droite.
Finalement, on sort de la couche et la piste est en vue. Atterrissage, roulage, parking Hôtel 0. Il est 9h15 locales. On a quittés le Bourget il y a presque neuf heures.
Les médecins s'engouffrent dans une ambulance avec leur précieux chargement, qui va partir vers un hôpital parisien pour sauver la vie de patients qui étaient en attente de greffes. Nous avons passé la nuit dehors pour faire les livreurs de morceaux de vie, modeste mais indispensable maillon de la grande chaîne des dons d'organes.
10 heures, je suis de retour à la maison. Je vais me coucher pour tenter un cycle de sommeil. L'appli iPhone Sleep Cycle me réveille juste quand il faut, quand je suis repassé en sommeil léger, et c'est (presque) en pleine forme que je me lève juste à temps pour l'apéro, le dîner dominical en famille, et une après-midi calme avant de repartir en vol pour de nouvelles aventures.
Putain, j'aime ce métier !
(Histoire parallèle : http://120enligne.free.fr/?p=201)
18 commentaires:
Sympa ce billet, on s'y croirait presque !
Ce job doit être super grisant... Pas de tout repos, mais grisant ;-)
Encore... encore, super récit.
Quand tu es en EVASAN c'est plus facile d'obtenir les directes souhaitées, c'est une question de principe pour nous contrôleurs aérien de raccourcir au tant que possible les vols qui ont marqué EVASAN en case remarque du FPL.
Et encore merci de nous faire partager tes vol et ton experience.
Cooool , c'est quoi EVASAN ?? (oui , j'ai la flemme de regarder sur le net...)
Les Organes, qu'arrive-t-il à la suite ? transport en hélico au l'hopital ?? ou par voiture ??
Sinon, j'espère un jour prendre le relais du Bourget à l'hopital....
Merci pour vos commentaires !
Petit Cabri > EVASAN est un terme générique pour EVAcuation SANitaire. Les organes sont emportés en voiture, parfois avec escorte de la gendarmerie pour ouvrir la route (c'était le cas à Marseille).
Bravo LJ..!! je vois que tu as fait de la route depuis mon dernier passage.. tu dois te régaler..!!
Bon vol à toi..!!
"Dis lui qu'on est en India Mike"
Quesako?
Récit très sympa comme d'habitude!
On croit lire un récit de PH au tout début, le coups de balais dans le zinc, les journaux... :)
Qui sait, peut-être bien qu'un beau jour tu auras un de mes organes à transporter... je suis donneur.
Beau récit, d'ailleurs.
Bons vols.
PilotBear
C'est un vrai plaisir de lire tes aventures ! Ça fait envie !
j'adoreeeeeeeeee !
Je veux la suite, c'est vraiment super ! j'adore ta manière de raconter cela.
Bons vols
India mike ? c'est IMC non ?
PilotBear > J'espère ne pas avoir à transporter tes organes !!
Corentin > Bravo ! C'est bien IMC !
J'avais peur que ce blog s'arrête une fois l'objectif atteint.
Tu as trouvé le bon dosage entre émotion et précision.
Merci encore, continue!
Anonyme > J'ai réalisé avant hier que le titre du blog n'était peut-être plus tout à fait adapté en effet, je vais peut-être songer à le modifier, mais je n'ai pas l'intention d'arrêter le blog ! :-)
Coucou Olivier, c'est vrai que c'est super tes récits. Alors India Mike, c'est bien IMC ou ça correspond à tout autre chose. Moi je suis en train de décoller au départ de Clermont, et malheureusement ce n'est pas moi qui pilote le 320 ;)
A bientot
Cédric
Ça donne une sacrée envie tout ça ...
J'ai juste un mot à dire: Enjoy.
Rémi
Super récit, j'adore.
Bravo pour ce début de carrière et bonne chance pour la suite.
Damien
Salut
Je connais bien ta boite et ton boulot pour l'avoir fait. Tout n'y est pas rose et tu t'en apercevras rapidement...mais ce jour là relis ton post sur ton 3eme jour et tu trouveras le courage de positiver pour continuer ta carrière vers de meilleurs cieux.
En attendant bravo pour ce récit qui m'a rappelé beaucoup de choses, je me revois à ta place content d'être tiré du lit à 1 h du mat pour déchirer le ciel...bon au bout de 2 ans c'est différent :-)
Bons vols et bonnes siestes sur les tapis d'enregistrement(Colmar), les lits des pompiers (Limoges), les sièges de salle d'attente(Poitiers), les canapés des ops(Strasbourg)....etc
Mais ne renie pas ce qui fait de toi un bon pilote, reste fidèle à tes principes et ce que tu as tu ne le dois qu'à toi.
Éclate toi bien et bons vols!
oujours de superbes ecrits
a bientot !
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