Quand le téléphone sonne à 00h37, tout en tendant la main vers la table de nuit pour l'attraper, je me dis que la nuit va être longue. Mon commandant de bord m'indique qu'on décolle à 2 heures pour Montpellier.
Avant de me lever, brève réflexion pour rassembler mes esprits et estimer combien de temps j'ai dormi. Je me rappelle avoir vu qu'il était 00H15 sur le réveil. Ha oui, effectivement, je ne me serais pas reposé très longtemps !
Hier soir, j'étais à un repas de l'Amicale France DC3 où (comme dans tous les bons coups aéros) j'ai retrouvé plusieurs amis. Après le repas, comme souvent après un dîner de pilotes, la conversation s'est prolongée sur le trottoir, et il était près de minuit quand je suis arrivé à la maison.
Je me lève donc, enfile mon uniforme, et 5 minutes après me voilà en route pour Le Bourget. A cette heure, il est facile de s'y garer, ce qui n'est pas du tout le cas en journée, l'aéroport étant alors une fourmilière. Passager au PIF, prévol de l'avion, vérification du catering, briefing avec mon CDB. Il fait grand beau temps à Montpellier et sur la route. Je fais l'aller.
Décollage face à l'est, départ M0N0T 1J. Le contrôleur de De Gaulle nous accorde rapidement une directe vers M0N0T, et la montée se fait rapidement aussi. On passe avec Paris Info, qui nous envoie vers notre niveau de croisière, le 250. Puis la radio se tait. Au bout d'un moment, mon commandant me dit "C'est super calme à la radio !" Et il ajoute avec un grand sourire : "Ou alors, c'est notre radio qui est cassée !" Il appuie sur l'alternat :
- Paris Info, IBJ118A, pour essai radio ?
- IBJ118A, je vous reçois 5
- Ha bah notre radio marche bien alors !
- Oui, c'est très calme !
- Ne nous dites quand même pas qu'on est le seul avion sur la fréquence ?
Quelques minutes après, un autre avion arrive sur la fréquence, en descente vers Paris et vers Le Bourget. Un avion avec un call sign bien connu. J'appelle le contrôleur :
- Paris Info, IBJ218A ?
- Allez y !
- Est ce qu'il serait possible de passer un rapide message au XXX ?
- Ho, allez y, il n'y a que vous deux sur la fréquence !
- Merci ! XXX, est ce que par hasard il y aurait Y. à bord ?
La voix à la radio change, et c'est Y. qui me répond :
- Oui, salut Olivier, ça va ?
- Salut Y. ! Ca va, on descend sur Montpellier
- Bon courage alors !
On se souhaite bon vol, et le silence revient sur la fréquence.
Comme je l'ai déjà raconté sur le blog, ce n'est pas le première fois que je croise un copain en fréquence en général, et ce n'est pas non plus une première depuis que le ciel est devenu mon bureau. Celle-ci me fait bien plaisir, car Y. est un ami qui a joué un rôle dans la reconversion qui m'a emmené là où je suis aujourd'hui.
Quand j'ai pris ma décision, c'est lui que j'ai sollicité en premier pour avoir un avis de pro, comme je le racontais dans le deuxième billet de ce blog, en juin 2008. Et je l'ai ensuite embêté à chacune des étapes, de l'ATPL théorique à la QT an passant par le CPL/IR et la MCC. Il a été un soutien de poids, d'où mon plaisir à le croiser cette nuit en fréquence, moi en place droite de mon King Air, lui en place droite de son gros business jet.
Après un vol sans histoire, et quelques négociations avec le contrôleur qui ne voulait pas qu'on atterrisse sur la 13L, je pose l'avion à Montpellier (sur la 13L, non mais !) Deux heures et demie (et deux heures de sommeil) plus tard, les chirurgiens nous appellent pour nous signaler qu'ils sont là dans 20 minutes.
Petit point météo, et on constate que les METAR en région parisienne sont beaucoup moins sympas que ne le laissaient envisager les TAF… Sur Metmap, les terrains les plus proches de Paris qui ne sont pas indiqués en conditions "IFR très intensif" sont Vatry et Le Havre ! Pas vraiment pratique pour faire arriver rapidement jusqu'à son destinataire l'organe que nous transportons !
On part. Je suis PM sur cette branche, et dès qu'on commence à recevoir les ATIS de la région parisienne, je commence à noircir mon log.
Le Bourget : sur le papier, ça ne passe pas : OVC002 (face à l'est, il nous faut 430 pieds).
Roissy : BKN000, donc on oublie.
Orly : Ca peut éventuellement passer en dégagement
Toussus, Villacoublay : on oublie
Pontoise est en auto-info jusqu'à 9 heures.
Reste Beauvais, qui devrait être possible
On discute de la stratégie, et mon CDB fait son briefing : on fait une tentative au Bourget. En cas de remise des gaz, je tenterai de négocier un ILS 27 (c'est loin d'être gagné avec Roissy face à l'est, parce que de ce côté là, 200 pieds de plafond, ça passe en théorie). Sinon, on déroute sur Orly.
Je continue à prendre les ATIS dont plusieurs ont été mis à jour depuis tout à l'heure. La carte "Orly" est abandonnée, la vis s'est pétée la gueule, ça ne passe plus pour nous. Donc tentative en 07 au Bourget, néo pour la 27 en cas de remise des gaz. Et si ils ne veulent pas, j'appellerai le handling après la remise des gaz pour leur demander d'expédier rapidos la voiture du service Greffes à Beauvais.
Après OMAKO, on file sur le VOR de Coulommiers, puis on s'éloigne sur la radiale 276 de CLM. Puis un guidage radar par Roissy nous amène sur l'ILS 07 du Bourget. 500 avant, on est en IMC. 400 avant, pareil. 300 avant, même chose. 200 avant, on commence à voir le sol en dessous, mais devant, rien. 100 avant, on voit toujours un peu de sol. Altitude de décision, et la rampe de la 07 me saute à la gueule.
- J'ai la piste en vue !
- On poursuit !
C'était vraiment tout juste… A cause de travaux sur les taxiways, on ne peut dégager la piste 07 qu'en toute fin de bande. Comme on n'a pas besoin de toute la longueur, on négocie en général avec la tour pour pouvoir dégager via la piste 03-21. Mais aujourd'hui, on avait autre chose à faire, donc mon captain pose long pour éviter de rouler sur deux kilomètres de piste, et on dégage en bout de bande.
Arrivés au parking, les médecins sont contents d'être à Paris et non à Beauvais et filent sur l'hôpital avec leur précieux chargement. Je pense à mon pote qui a subi cette même greffe, et qui a démarré une nouvelle vie, dans des conditions de confort qu'il n'avait jamais connu jusque là, depuis ce jour...
9h30, j'arrive chez moi et je file au lit, pour commencer ma vraie "nuit".
10 commentaires:
Très intéressant ! Et bravo aux pilotes pour leur arrivée difficile !
Bonne continuation.
Sylvain
Encore bravo pour ce récit Olivier. Un point de repère qui se nomme MONOT ça doit te faire sourire, non?
bons vols
Toujours autant passionnant ces histoires!! on en redemande!
merci beaucoup de nous faire partager ces moment!
joli récit, comme d'hab!!
Petite question technique vous êtes CAT II donc.
Parce qu'avec ces RVR et cette visi logiquement c'est pas encore trop mal non?
Merci pour vos compliments !
Thomas > Non, on n'est pas Cat II, on est Cat I. Le problème, c'est surtout BKN000 qui laisse peu de chance de se poser avec nos minima à nous...
Ah oui en relisant ton message je vois que tu dis 100 avant et pas 100 tout court.
Effectivement avec un BKN000 tu as peux de chance de voir la piste mais en théorie rien ne t'empêche de tenter l'approche ;-)
Bons vols!
Thomas > Rien ne nous empêche bien sûr de commencer l'approche, mais comme on a un organe à bord, chaque minute compte, donc ce serait un peu con de perdre du temps à faire une approche en sachant qu'on a 95% de chances de remettre les gaz !
C'est marrant parce que nous avons une approche tout à fait différente, qui vient du fait que le chargement est très différent comme tu le soulignes.
Dans notre cas, on doit tenter à tout prix, c'est contractuel.
Mais vous devez gagner un maximum de temps et prendre les choix qui s'imposent, ça semble normal.
Bons vols!
Ah, on s'est loupé de peu... Je fais mon ATPL Intégré à Montpellier :-)
A une prochaine fois, peut être!
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