samedi 25 décembre 2010

Une nuit du 24 décembre en vol à jouer au papa Noël en livrant les plus beaux cadeaux du monde

Jeudi 23 décembre. Un ami, tout récent CPL-IR qui a l'occasion de faire quelques vols en safety pilot sur Beech 90, écrit sur Facebook : X is flying the King Air to Paris at night on Christmas Day, that's gonna be my best Christmas ever !!"

Ce à quoi je réponds en commentaire : "Bah moi j'aimerais bien réveillonner tranquille et ne PAS piloter le King Air la nuit de Noël (ni celle du nouvel an svp papa Nowel, merci !)"

Vendredi 24 décembre. L'après-midi a commencé, et je prévois de la laisser glisser tout en douceur jusqu'au début des agapes du soir. Sauf que...

15h40, mon téléphone pro sonne. Avant même de décrocher, je sais que mon réveillon de Noël va passer à l'as. "Salut Olivier, on part dans une heure chercher un organe à Poitiers". C'est confirmé, pas de réveillon en famille cette année ! Le délai est plus court que d'habitude. En général, on nous appelle environ 1h30 avant l'heure du décollage, avec un objectif d'être au terrain une heure avant. Là, si je me dépêche, j'aurais 40 minutes. Sauf que...

Ca bouchonne sur la route. Je mets au moins deux fois plus de temps que d'habitude, et je gare la voiture au Bourget 25 minutes avant l'heure de décollage prévue. Va falloir se dépêcher un peu. Mais sans courir, parce que le parking avions est une vraie patinoire.

L'avion est déjà dehors. Le vent est glacial, et bien que la visite prévol ne soit pas très longue, je finis le tour du King Air complètement congelé. Je sors les fiches Jeppesen du départ "L'Aigle 1J", du terrain d'arrivée et du premier terrain de déroutement pour les mettre dans le classeur "réduit" que nous allons utiliser pour le briefing aux Opérations.

Je vérifie que la cabine est propre, que les ceintures sont bien placées, qu'il y a des lingettes rafraîchissantes à portée de chaque siège. Je mets en place la presse du jour, fais le plein d'eau chaude, un complément de boissons fraiches, le plein de madeleines, petits gâteaux et bonbons (en y ajoutant quelques papillotes spéciales Fêtes), et vais chercher dans le frigo les quatre plateaux-repas destinés aux deux médecins et aux pilotes, manquant de me casser le figure en dérapant sur le verglas. Partie "Susana" de la prévol terminée !

Les médecins ne seront pas à l'heure, et ça tombe bien, ça nous laisse plus de temps pour préparer !

Je rejoins mon captain aux Ops, le "réduit" sous le bras. Pendant que j'étais à l'avion, il a bossé sur les papiers : plan de vol, log de nav, météo, notams, devis de poids et centrage, catégorisations d'aérodromes, manifeste passagers, enveloppe de vol... On étudie ensemble tout ça, ainsi que les Jeppesen. Et nous sommes prêts. Il ne manque plus que nos passagers et leur grosse glacière.

On s'installe dans le salon d'accueil des passagers pour les attendre. Dès qu'on voit arriver la grosse voiture avec le large gyrophare barré du mot "GREFFES", le captain file à l'avion pour demander la mise en route pendant que j'accueille le chirurgien et son interne. Je les fais passer le PIF (Poste Inspection Filtrage) et les accompagne jusqu'à l'avion, l'interne poussant la glacière posée sur un chariot à roulettes, et le gros sac contenant tout le matériel d'intervention étant posé sur le dessus.

On embarque et j'arrime la glacière dans la soute arrière, vérifie que la porte est bien fermée (sur le King Air, elle s'ouvre vers l'extérieur, donc si les crochets de verrouillage ne sont pas bien en place, avec la différence de pression en attitude, je vous laisse imaginer le résultat). Je referme les portes coulissantes qui séparent l'arrière de l'avion de la cabine passagers, pour limiter le niveau sonore et conserver la chaleur dans la cabine, puis je vais m'installer sur le siège droit, le fameux 00A.

On commence la procédure de démarrage du moteur numéro 1. Puis on indique au pistard qu'il peut déconnecter le groupe de parc (qui se branche sous l'aile droite sur le King Air). Une fois que c'est fait, il nous fait signe qu'on peut démarrer le 2. Une fois que c'est fait, le captain, qui est PF sur cette branche, me demande l'Aster start up check-list. On la déroule ensemble, puis je demande le roulage vers le point d'arrêt 09.

Le captain fait rouler l'avion, avec précaution tant qu'on est sur le parking, puisqu'il n'a pas été déneigé et qu'il est maintenant bien verglacé. Les taxiways, par contre, sont parfaitement dégagés. Au Bourget, on traverse systématiquement une piste au roulage, que ce soit pour décoller de la 09 ou de la 25, ou après avoir atterri sur la 07 ou la 27. Seule exception, quand on atterrit sur la 03 (qui est pleine de neige en ce moment, et donc fermée).

Parfois, le contrôleur sol nous autorise, dés le début du roulage, à traverser la 03-21 (si on part en 09) ou la 27 (si on part en 25), d'autres fois, il nous demande de maintenir au point d'arrêt.

Pendant le roulage, on fait les actions roulage, puis la taxi check et le briefing départ (qu'on prend soin d'interrompre si la traversée de poste 03-21 ou 27 a lieu avant qu'il ne soit terminé). En approchant le point d'arrêt, before line up procédure, puis check associée. Et une fois autorisé à l'alignement, before take off procédure et check lits. Et c'est parti.

Après le décollage, on poursuit sur l'axe de la piste 09 (086°) jusqu'à l'interception de la radiale 097 de BT, le VOR du Bourget, qu'on suit jusqu'à 13 NM de BT, puis virage droite. Dès que le contrôleur du Bourget nous a identifié radar, il nous passe avec De Gaulle.

Quand on est EVASAN, on a très rapidement une directe vers la destination. Aujourd'hui, le contrôleur de Paris Info n'a pas dû encore passer en mode papa Noël, parce qu'il nous laisse aller vers le VOR de l'Aigle, ce qui n'est pas très direct, puisqu'après LGL, le GPS nous montre un virage gauche quasiment à 90° pour aller sur Poitiers... Finalement, plusieurs caps donnés par le contrôle nous permettrons de raccourcir un petit poil et transformer le virage à 90° au frein à main à la verticale de LGL en courbe plus douce.

A Poitiers, le vent est légèrement arrière, mais bien en deçà de notre limitation à 10 noeuds, j'indique donc au contrôleur qu'on se posera en 21 pour gagner quelques minutes. Un des trucs importants qu'on apprend au CPL, c'est qu'il faut être le plus opérationnel possible, on n'est plus un pilote privé en balade (et je me rappelle l'avoir rappelé à un colibri en cours de mûrissement qui a fait quelques vols avec moi et qui voulait faire une verticale d'un terrain contrôlé :-) ). Ca devient particulièrement important en vol de transport d'organe, où chaque minute compte !

L'ambulance est déjà là et mon captain gare le Beech à quelques mètres. Une fois les médecins partis et notre départ préparé, nous regardons nos montres. Il est 19 heures, le soir de Noël. Première option : trouver un resto accessible à pieds. Après avoir pris les conseils de l'agent de sûreté qui nous accueilli gentiment dans son bureau et utilisé diverses applications sur l'iPhone, on part en expédition. Mais le vent est tellement glacial qu'on renonce très vite. Retour dans les locaux de la sûreté après un passage dans l'aérogare, déserte.


Option numéro 2 : se faire livrer une pizza pour avoir un truc chaud en plus de nos plateaux-repas froids. Oui, mais c'est le soir de Noël, et personne ne répond. On se contente donc de nos plateaux. Ils sont heureusement un peu améliorés aujourd'hui, avec du saumon fumé, de la mousse de je ne sais pas quoi, des crevettes et une très acceptable petite buche au chocolat. Tout ça arrosé d'un coca, pas d'alcool pour nous bien entendu.

21h25 locale, je commence le roulage vers la piste 03. Ce n'est pas un, mais deux organes que nous ramenons à Paris. Comme ça arrive quelquefois, le "Personne ne le prend, ce rein ? Bon, on l'embarque, ce serait dommage de gâcher !" a joué, et cet organe imprévu va pouvoir profiter à un patient en attente de greffe. Après être arrivé dans la capitale, il redescendra dans le sud par la ligne, sans doute transporté par un Air France.

On a rapidement une directe vers BALOD, et à 22h20 locale, je pose le Beech sur la piste 07. Je n'utilise pas les reverse, puisque, enneigement oblige, on doit dégager tout en bout de bande, et que les 3 kilomètres de la 07 sont bien longs pour le King Air... Le roulage est plus long aussi, forcément, et c'est à 22h30 que j'arrête les turbines.

Bon, en me dépêchant, ya moyen de m'accrocher en cours de repas. L'avion est rapidement entré dans le hangar, et c'est au chaud que je remets en place les protections et que je met un peu d'ordre dans la cabine avant de rejoindre le captain aux opérations. Je suis quasiment sur la pas de la porte et je pense déjà au goût du foie gras. Sauf que...

"Olivier, on repart !" Et merde... Je calcule rapidement de tête, et confirme à mon captain que ça va faire short pour l'amplitude et que nos opérations feraient mieux de déclencher l'autre équipage d'astreinte aujourd'hui. Bon, le réveillon va peut-être pouvoir être sauvé. Oui mais non, parce que l'autre équipage doit partir une heure après chercher un autre organe dans le sud.

Je pose donc mon sac et file dans le hangar pour faire la prévol et débâcher l'avion tant qu'il est dans la chaleur relative du hangar, plutôt que dans le vent glacial comme tout à l'heure.

Décollage prévu à 23 heures. On quitte le bloc à 00h20 (Oui, on passe beaucoup de temps à attendre les passagers, dans ce boulot...). Cette fois, c'est moi qui suis PF sur la branche aller vers Rennes. Décollage en 09, interception da la radiale 097 de BT, mais très vite le contrôleur de De Gaulle nous donne un cap 160. Puis interroge :

- IBJ224X, si vous poursuivez le virage vers le 270, vous pouvez éviter Paris ?
- Affirm, IBJ224X
- IBJ224X, poursuivez le virage vers le cap 270 et montez vers le niveau 70

Pendant que le captain collationne, je serre le virage et dès qu'il a fini de répondre au contrôleur, je lui demande si on va bien passer au nord du périph (que je ne vois pas de la place droite en étant en virage du même côté). Il me confirme que c'est bon. Après un virage à 180 degrés par rapport à notre axe de décollage, nous voici donc entre Paris et les arrivées du doublet sud de Roissy. Ca, c'est opérationnel !

On a rapidement une directe vers Rennes, et après 45 minutes en l'air, je pose le King Air sur la piste 28. Une fois les moteurs arrêtés, je passe à l'arrière et demande à la chirurgienne pour combien de temps elle pense en avoir. Et j'ai la désagréable surprise d'apprendre que l'organe n'est pas prélevé à Rennes, mais dans une petite ville de la campagne bretonne, à une bonne heure de route de l'aéroport, soit deux heures de plus au total par rapport au délai normal de prélèvement d'un foie (qui est déjà l'organe le plus long, puisqu'il est prélevé en dernier).

J'allume l'iPhone et consulte le site du NORAD. On a dû croiser le père Noël et son traîneau, puisqu'avant notre départ, il était en vol entre la Norvège et Amsterdam, et qu'à notre arrivée, il était entre les Canaries et les Açores, après être passé par Paris et Andorre. On ne l'a pas vu en tous cas !

Puis commence une longue attente dans l'avion. Nous essayons de dormir, mais malgré mon sac de couchage et le plaid par dessus, je suis plusieurs fois réveillé par le froid. Il fait -2° dehors, et l'avion n'est pas chauffé… C'est la partie la plus galère des missions organe l'hiver, et quand on se pèle grave en essayant de dormir, on a beau se dire qu'on aide à sauver des vies, le temps paraît bien long !

On passe ainsi plus de 6 heures à attendre dans le froid. Puis les médecins arrivent avec les glacières. On embarque alors que le moteur droit tourne déjà. Quand on démarre avec groupe de parc, on met en route le numéro 1 (à gauche) en premier, puisque le groupe se branche à droite. Par contre, quand on démarre en autonome, c'est d'abord le 2 (à droite), puisque la batterie est située dans l'aile droite, et donc plus proche du numéro 2.

C'est à 7h30 qu'on repart vers la capitale. Le contrôle de Brest nous donne une directe vers BALOD, puis Paris nous envoie sur SUBOX, ce qui nous raccourcit encore un peu. C'est moi qui fait la radio au retour, et en quittant chaque fréquence, au lieu de dire "au revoir" comme d'habitude, je dis "Joyeux Noël !" (et comme hier soir, ils sont nombreux sur la fréquence). Pendant la croisière, je branche mon iPhone sur le Clarity, et je me mets quelques chants de Noël. Le soleil se lève derrière la turbine droite du Beech, et sur une journée de Noël qui sera le début d'une nouvelle vie pour 5 personnes en attente de greffe...


Il fait beau sur Paris, et on a une belle vue sur les arrivées sur De Gaulle, à notre gauche, et sur La Défense, Paris, la tour Eiffel, Montparnasse, le dôme des Invalides, etc, sur notre droite. Atterrissage en 07, et à nouveau long roulage vers le parking, sur lequel les pompiers sont de passage pour leur inspection matinale.


Les médecins débarquent avec leurs glacières, les pistards entrent l'avion, je le bâche, nouveau petit ménage, un peu de paperasse, et je reprends enfin le chemin de la maison, où j'arrive à 9h15.

Je me couche pour ajouter quelques petites heures de sommeil aux 3 ou 4 que j'ai réussi à grappiller dans l'avion. Et, cette fois, dans un lit douillet et au chaud ! Et je me réveille juste à temps pour prendre une douche et me préparer pour le déjeuner du jour de Noël, qu'il n'était pas question de rater !

Moi qui espérais ne pas passer ma nuit du 24 décembre en vol, c'est plutôt raté. Mais pour cette toute première nuit de Noël passée en vol, j'ai la satisfaction d'avoir joué au père Noël pour des gens qui en avaient un besoin vital.

Grâce aux chirurgiens, aux coordinateurs, au contrôleurs et pompiers d'astreinte, aux conducteurs, et à mon captain et à moi-même, ce sont pas moins de 5 (grands) enfants qui ont trouvé dans leurs chaussons un organe tout neuf en ce jour de Noël. Certainement leur plus beau cadeau de Noël, puisque ce cadeau, c'est la vie !

10 commentaires:

Adrian a dit…

Bien bel article! Continue à alimenté ton blog ça fait toujours plaisir de te lire ;)
Bonnes fêtes de fin d'année :)

Anonyme a dit…

Merci de nous faire partager tes aventures, c'est très intéressant
Je te lis depuis la création de ton blog et je suis vraiment surpris du nombres d'organes que vous transportez !!
Joyeux Noel

Anonyme a dit…

Très chouette. Et encore merci d'avoir pris le temps, le jour de Noël, de nous faire partager dans le menu cette nuit.. sans menu de réveillon :)

LJ35 a dit…

Merci à tous les trois !

J'ai pris un moment pour écrire ce récit le jour de Noël, car il faut le faire quand les détails du vol sont encore bien frais dans la tête !

Golfcharlie232 a dit…

Joyeux Noel!
Et merci pour ce cadeau qu'est ce beau billet!
BALOD puis finale 07, j'ai fait la meme hier soir ... quelle vue sur tout Paris!
Ca t'aura fait combien d'heures en fonction? Dur dur le jour de Noel pour toi!
Petite nuit blanche a CDG pour moi, il est 11h, je pars dormir ... :-)

LJ35 a dit…

Golfcharlie 232 > 3h50 seulement de vol pour une amplitude trèèèès longue !

Anonyme a dit…

Super récit comme toujours Olivier! Merci pour ce beau cadeau et chapeau pour cette mission réalisée le soir de Noël ;)

Anonyme a dit…

Comme toujours, du grand art!!!! Je me régale de tes histoires!!!!

Merci pour ces récits, merci pour les greffés....

Bonne fêtes de fin d'année quand même et fly safe!

Anonyme a dit…

Sacrée soirée ! Tu as bien de la chance de pouvoir jouer au père noël. Moi j'étais en voiture dans les congères en pleine campagne de l'Aisne et j'ai improvisé une courte nuit en chambre d'hôte le 24 au milieu de nulle part. Je me dis qu'avoir les fesses dans un Beech 200 à ce moment là n'aurait pas été pour me déplaire :)

A plus,

Antoine

Anonyme a dit…

C est un tres bon moment que de lire tes commentaires...jamais trop techniques et toujours tres humain...comme on aime l'aviation
Merci